Extrait de "Le Monde et la Science" (1910 env)

La fabrication des allumettes chimiques en France a commencé par être libre. Après la guerre de 1870-1871, pour procurer des ressources supplémentaires au Trésor, la loi du 4 septembre 1871 frappa les allumettes d'une taxe à la vente. Ce régime ne donna pas, au point de vue des recettes, les résultats que l'on escomptait et fut remplacé l'année suivante, par un monopole qui, d'abord affermé à une Compagnie concessionnaire, fut, à partir de 1890, exploité par l'administration des Manufactures de l'État.

Le revenu annuel de ce monopole n'a fait que de progresser; de 7 millions en 1872, il a passé à 17 millions en 1889, pour atteindre aujourd'hui le chiffre de 30 millions, portant sur une vente en 1909 de 45 milliards d'allumettes des diverses espèces livrées par la régie. Cette dernière quantité, il est vrai, ne représente pas la totalité de la consommation française dont une grande partie échappe à l'impôt.

Malgré les mesures relativement rigoureuses prises pour entraver l'introduction des produits étrangers et la fabrication occulte, la fraude se poursuit néanmoins avec persistance et atteint vraisemblablement les deux cinquièmes environ de la consommation totale. Cette consommation, qui peut dés lors être évaluée à 60 milliards, correspond à plus de 1500 allumettes par tête. Si l'on considère que ce produit était encore inconnu il y a un siècle, on voit que l'usage s'en est répandu avec rapidité.

Avant l'invention des allumettes chimiques, on se servait pour communiquer le feu et la lumière, de petites bûchettes de bois ou de chènevottes trempées par leur extrémités dans du soufre fondu. Pour les enflammer il fallait les mettre en contact avec un corps déjà en ignition.

C'est vers 1809 qu'apparurent pour la première fois des allumettes proprement dites imprégnées de soufre et munies d'un bouton formé d'une pâte adhérente au chlorate de potasse. L'allumage s'opérait en plongeant leur extrémité dans un récipient contenant de l'acide sulfurique.

A ces allumettes d'un maniement peu commode, succédèrent bientôt des allumettes à friction obtenues en associant à la pâte au chlorate de potasse des corps combustibles appropriés. Ces allumettes s'enflammaient difficilement et d'une façon très irrégulière, par frottement sur un morceau de papier de verre.

Enfin, en janvier 1831, grâce à l'invention de Charles Sauria alors élève au Collège de l'Arc de Dôle, le phosphore blanc entra dans la composition des allumettes et fournit des produits d'une inflammation commode et sûre par simple frottement du bouton sur une surface quelconque.

Mais l'emploi du phosphore blanc, corps très vénéneux, émettant des vapeurs malsaines à la température ordinaire, n'était pas sans présenter de graves inconvénients. Aussi chercha t-on à y remédier en perfectionnant l'allumette à friction. Au frottoir formé d'un morceau de papier de verre, on substitua une pâte où entrait en proportion suffisante, du phosphore amorphe ou phosphore rouge: une simple parcelle de ce corps, d'ailleurs inoffensif, détachée au moment du frottement du bouton de l'allumette produit l'inflammation brusque du chlorate de potasse qui se communique à la tige de bois par l'intermédiaire du soufre ou de la paraffine qui l'imprègnent.

En raison de leur grande commodité, les allumettes au phosphore blanc, malgré les sérieux dangers qu'elles présentaient, tant dans la fabrication que dans l'emploi, furent pendant longtemps consommées presque exclusivement. On les préférait aux allumettes au chlorate de potasse qui, à côté d'avantages incontestables sous le rapport de la sécurité, ont l'inconvénient d'exiger pour leur inflammation l'usage d'un frottoir spécial.

Tant que ces fabrications restèrent entre les mains de l'industrie privée, elles ne firent aucun progrès au point de vue de l'hygiène des ateliers. Et cependant, en présence des désordres graves que provoquait dans la santé des ouvriers la manipulation des pâtes et des allumettes au phosphore blanc, il y avait bien lieu de s'en préoccuper. Aussi, à partir de l'époque où l'Administration des Manufactures de l'État se mit à fabriquer des allumettes, tout fut-il mis en oeuvre pour obtenir soit des machines, soit des procédés grâce auxquels les manipulations dangereuses seraient supprimées. Ces efforts ne tardèrent pas à être couronnés de succès et aboutirent en 1898 à la découverte, par deux de nos ingénieurs les plus distingués, MM. Sévene et Cahen, d'une pâte au sesquisulfure de phosphore et chlorate de potasse, qui offre une sécurité complète dans les manipulations et qui fournit des allumettes s'enflammant par simple frottement sur une surface rugueuse, soit même sur une surface lisse en prolongeant suffisamment la friction. Dés ce moment, l'emploi du phosphore blanc fut définitivement banni de nos usines.

L'application de cette belle découverte s'était à peine généralisée, que ces mêmes Ingénieurs, poursuivant le cours de leurs études, mirent au point la construction d'une machine dite à fabrication continue qui, tout en supprimant les mains-d'œuvre fatigantes ou dangereuses, allège considérablement le travail des ouvriers.

La production française des allumettes est actuellement répartie entre sept usines: Pantin, Aubervilliers, Marseille, Trélazé (Maine-et-Loire), Saintines (Oise), Bègles (Gironde) et Aix-en-Provence. Elle occupe 2000 ouvriers et ouvrières et livre en chiffre rond un total de 45 milliards, se répartissant comme suit: Allumettes en bois n'exigeant pas de frottoir spécial, 25 milliards; allumettes en bois exigeant un frottoir spécial, allumettes soufrées, 16 milliards; allumettes suédoises, 2 milliards 1/2; tisons, 900 millions, et enfin allumettes en cire, 1 milliard 300 millions. Nous allons passer rapidement en revue les différentes phases de la fabrication de toutes ces espèces d'allumettes.

Pâtes chimiques et Gratins. -

Les pâtes formant le bouton sont de deux sortes, suivant qu'il s'agit d'allumettes prenant feu par simple frottement sur une face rugueuse ou, au contraire, d'allumettes ne s'enflammant que par friction sur un grattoir spécial.

Les premières se composent essentiellement d'un mélange de chlorate de potasse et de sesquisulfure de phosphore agglomérés dans une dissolution de gélatine, avec du verre en poudre, du blanc de zinc et de l'ocre rouge.

Les autres, employées à la fabrication des allumettes dites de sûreté, sont formés de chlorate de potasse additionné de bioxyde de manganèse, de verre en poudre et de bichromate de potasse, mélangés dans une dissolution de gélatine et de gomme.

Les pâtes pour tisons qui ne sont qu'une variété de ces dernières, sont plus riches en chlorate de potasse et contiennent en plus de la sciure de bois et une légère proportion de phosphore amorphe.

Tous les frottoirs et gratins, servant par friction à l'inflammation des allumettes de sûreté, sont formés d'une pâte plus fluide que celle des boutons et dans laquelle il entre une certaine quantité de phosphore amorphe.

Dans le tison, la tige en bois n'est ni paraffinée ni soufrée, aussi ne brûle-t-elle pas et sert-elle seulement de support au manchon de pâte dont la combustion résiste au vent grâce à sa composition spéciale et à ses dimensions.

Confection des tiges. -

Pour les tiges en bois, les arbres livrés en grume sont écorcés, sciés en tronçons de 2 mètres de longueur environ, débités en madriers et enfin en billots ayant la longueur des futures allumettes. Ces billots sont eux mêmes tranchés mécaniquement en plaquettes et tiges ayant la section voulue. Les découpeuses employées à cet usage peuvent débiter jusqu'à deux millions par heure. On emploie également à cette fabrication des dérouleuses qui détachent dans les tronçons d'arbres des rubans de bois de l'épaisseur de l'allumette.

Ces rubans sont ensuite débités de longueur et de largeur par des couteaux faisant corps avec la machine.

A la sortie des machines à découper, les tiges sont séchées sur des claies qu'on laisse séjourner pendant une heure environ dans des tunnels ventilés à l'air chaud.

Pour la préparation des tiges en cire, des fils en coton en quantité plus ou moins grande, suivant le diamètre que doit avoir l'allumette, sont enroulés sur un cylindre, et déroulés dans un bain de stéarine et de cire fondues. Les mèches ainsi confectionnées traversent plusieurs filières qui leur donnent une forme cylindrique, puis sont enroulées sur des tambours avant d'aller à la mise en presse.

Mise en presse. -

Deux appareils sont en usage pour cette opération: la machine Walch et la machine Sébold. Dans le premier système, les allumettes rangées à la partie supérieure de l"appareil appelé magasin, tombent par couches horizontales et séparées les unes des autres, sur des plaquettes mobiles garnie de drap. L'ensemble de ces plaquettes est maintenu dans un cadre en fer qui constitue la presse proprement dite. Cette presse contient environ 5500 tiges.

Dans le système Sébold, la presse de plus faible dimension ne contient que 2200 allumettes. Les tiges tombent du magasin de la machine dans une plaque à tubes qui les déverse entre les plaquettes en bois que l'on serre ensuite dans leur cadre, au moyen d'une traverse mobile. C'est ce système qui est employé pour la mise en presse des tisons.

Pour les allumettes de cire, on se sert de la machine Muzard qui découpe les tiges à la longueur de l'allumette au fur et à mesure qu’elle garnit les plaquettes de la presse.

Soufrage et paraffinage. -

Afin de faciliter la combustion, les tiges en bois sont enduites de soufre sur une partie de leur hauteur. Cette opération s’effectue par trempage dans un bain maintenu à la température voulue pour obtenir la fusion. L’ouvrier a soin après trempage de battre vigoureusement la presse de façon à éviter le dépôt sur les allumettes d’une couche trop épaisse qui en brûlant donnerait une forte odeur d’acide sulfureux.

Le paraffinage, qui s’effectue à peu près de la même manière, est réservé aux allumettes dites suédoises.

Trempage dans la pâte chimique. - Séchage et Dégarnissage. -

Le passage de la presse sur un rouleau imbibé de pâte forme, à l’extrémité des tiges un dépôt qui constitue le bouton de l’allumette. Les presses placées sur des chariots séjournent dans des séchoirs le temps nécessaire pour que les boutons durcissent, puis sont envoyées dans les ateliers de dégarnissage.

Avant de dégarnir les presses, les ouvrières ont soin de les épurer, c’est à dire d’enlever les tiges dont l’extrémité auraient échappé à la trempe chimique; puis elles rangent les allumettes par poignées dans des récipients qui servent à les transporter à l’emboîtage.

Les allumettes en cire et les tisons sont emboîtés au fur et à mesure du dégarnissage. Parfois aussi le dégarnissage se fait mécaniquement.

Emboîtage, Paquetage et Emballage. -

Les ouvrières chargées de l’emboîtage opèrent à la poignée et elles arrivent rapidement à remplir, fermer, étiqueter et paqueter jusqu’à 350 boites à l’heure, avec une précision de comptage vraiment remarquable.

Les boites réunies par paquets de 20 ou de 50 sont immédiatement mises en caisses et prêtes à être expédiées aux négociants.

Machines à fabrication continue. -

Toutes les opérations que nous venons de décrire très sommairement et qui exigent des mains-d’œuvre variées, parfois pénibles, et des transports nombreux, ont pu être groupées d’une façon très heureuse sur une même machine dont plusieurs spécimens fonctionnent depuis quelques années déjà à l’usine d’Aubervilliers.

Cette machine met en presse, soufre, trempe, dégarnit la chaîne, compte les allumettes et remplit les boites. Dans l’espace de trois quarts d’heure, la fabrication est complètement terminée. La production de chaque machine est de 2.250.000 allumettes en dix heures et elle exige un nombre d’ouvriers et ouvrières moitié moindre que celui de la fabrication ordinaire.

Le personnel n’a plus d’ailleurs qu’à alimenter la machine et à en surveiller la marche. L’effort qui lui est demandé est réduit ainsi au strict minimum.

En généralisant l’emploi de ce nouvel outillage, l’État aura donc complètement atteint le but qu’il s’était proposé lorsqu’il a pris l’exploitation du monopole des allumettes: transformer cette grande industrie autrefois si dangereuse et si pénible, et créer des ateliers vastes et sains où les ouvriers qu’il emploie trouvent un travail à la fois réconfortant et largement rémunérateur.

Salaires. -

Le salaire des hommes à l’usine d’Aubervilliers varie entre 8 francs et 8 fr. 75, celui des femmes entre 5 fr. 50 et 6fr. 25 pour neuf heures de présence journalière.

Frédéric BLOCH. Directeur des manufactures de l’État.

 


---- Précis historique ----

LES PRECURSEURS

Le premier emploi de l’allumette phosphorée remonte à 1831. L’invention est due à M. Charles Sauria, le fils du général qui fut chef d’état-major de l’armée du Rhin en 1793. Il était encore au Collège de l’Arc de Dôle quand il eut l’idée de préparer une pâte phosphorée adhérente à une tige de bois, et imagina l’allumette phosphorique. C’est donc à tort que l’on a attribué cette découverte à un Wurtembergois nommé Jacques Kamanerer, ou aux Autrichiens Rener et Preschel, ou au Hongrois Inrigi. La vérité est que l’invention du jeune Sauria n’eut que le caractère d’une simple expérience et qu’elle ne fut définitivement adoptée en France qu’après avoir reçu la consécration de l’étranger. L’histoire de l’industrie française offre, chacun le sait, plus d’une de ces anomalies. Il est certain en tous cas que Kamanere ne commença à fabriquer ses allumettes à friction qu’en 1832, c’est-à-dire un an après la découverte de Charles Sauria. C’est lui qui lança l’industrie des allumettes dans le Wurtemberg, à Ludwigsbourg. Elle se développa à Vienne et se répandit de là avec une rapidité surprenante dans tous les Etats de l’Europe.

Longtemps elle fut confinée dans le travail en chambre, mais à mesure qu’elle évoluait vers la fabrication en grand, l’outillage se créait, puis se transformait par les découvertes successives des appareils mécaniques.

Les premières usines réussirent d’ailleurs fort peu. Leurs produits étaient trop inflammables et trop explosifs. Ils détonaient souvent en cours de transport. Plusieurs États de la Confédération germanique en interdirent formellement l’emploi.

La première utilisation du phosphore rouge remonte à 1847. La découverte en fut faite par le docteur Schroetter qui fournit ainsi pour la première fois le moyen de fabriquer des allumettes absolument inoffensives, car, contrairement au phosphore blanc extrêmement toxique, le phosphore rouge n’est pas vénéneux. En 1856, le Suédois Lindstrour, de Joinkiping, fut le premier à substituer au phosphore blanc un mélange de sulfure d’antimoine et de chlorate de potasse. Mais les allumettes de son invention ne pouvaient s’enflammer qu’à l’aide d’un frottoir spécial de phosphore rouge. Malgré cet inconvénient, les allumettes suédoises ne tardèrent pas à être fort appréciées.

L’emploi du phosphore blanc n’en subsista pas moins, pendant de longues années encore, dans tous les États, même en Suède. Les consommateurs, et plus particulièrement les fumeurs, ne trouvaient pas commodes ces allumettes qui ne s’enflammaient pas partout.

Au moment où fut établi en France, sur un rapport de M. Caillaux, père du ministre, président du conseil, à l’Assemblée nationale de 1872, le monopole des allumettes, le nombre des établissements privés qui, dans le pays, se livraient à cette fabrication, n’était pas moindre de 550. Tous furent expropriés à l’exception de 11: 3 à Marseille, 1 à Nantes, 1 à Trélazé (Maine-et-Loire), 1 à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), 1 à Orthez, 1 à Chalon-sur-Saône, 1 à Pantin, 1 à Aubervilliers, 1 à Bellac.

Voté au mois d’août 1872, le projet de loi établissant le monopole des allumettes ne fut promulgué que le 10 novembre suivant. Il parut au Journal Officiel avec les signatures de MM. Thiers, Président de la République, Jules Grévy, Président de l’Assemblée nationale, et de Goulard, ministre des finances.

Pour faire adopter le projet, M. Caillaux, rapporteur, mettait en avant ces trois considérations principales: l’intérêt des consommateurs, l’intérêt du Trésor, l’intérêt des fabricants. Ce qui n’empêchait pas ceux ci de protester avec la dernière énergie contre les expropriations dont ils étaient l’objet. Le monopole fut cédé à une compagnie fermière pour une durée déterminée jusqu’au 31 décembre 1889. A cette date le Parlement décida que l’État devrait exploiter le monopole des allumettes en régie directe. A l’heure actuelle, deux pays seulement exploitent le monopole des allumettes en régie directe: la France et la Roumanie.

La Grèce et l’Espagne ont également établi le monopole, mais celui-ci est concédé à des compagnies. Il en de même pour la Serbie et la Bulgarie, mais dans ces deux petits États la fabrication est peu importante.

En dehors de la France, où le sesquisulfure a mis un terme définitif à l’emploi de phosphore blanc, il est un certain nombre de pays qui, depuis longtemps, avaient interdit légalement l’emploi de ce dangereux produit. C’est l’empereur de Russie Alexandre II qui, le premier, par une ordonnance du 13 novembre 1872, prononça cette interdiction pour la Finlande. Le Danemark suivit en 1874; la Suisse bien longtemps après en 1898; les Pays-Bas en 1901, et enfin l’Allemagne en 1908.

Les allumettes sont introduites en fraude par toutes nos frontières terrestres et même par la voie de mer. La répression donne lieu à une lutte perpétuelle entre le fisc et les fraudeurs. Les ministres ne cessent de rédiger des circulaires pour stimuler le zèle des agents de la régie. Le gouvernement rappelle fréquemment aux gardes champêtres qu’ils doivent surveiller étroitement la fraude sur les allumettes dans les campagnes. Pour toucher plus directement ces fonctionnaires assez mal payés, on ne manque pas de leur répéter qu’une prime de 10 francs leur sera allouée chaque fois qu’ils arrêteront un vendeur ou un colporteur d’allumettes de contrebande. Malgré toutes les précautions et toutes les exhortations, la fraude n’en est pas moins très considérable et les statistiques établies à ce sujet nous apprennent que le tiers environ des allumettes consommées en France ne sortent pas des ateliers de la régie. Autrefois, l’Europe avait pour ainsi dire le monopole exclusif de la fabrication des allumettes chimiques. Elle a maintenant à compter avec la concurrence de l’Amérique et du Japon. Cependant elle conserve encore une supériorité incontestable en ce qui concerne la fabrication de certaines spécialités.

Maintenant, en Afrique aussi on fabrique des allumettes. En Algérie deux usines considérables ont été installées: l’une à Alger, l’autre à ¨Bône. Ces deux établissements font appel à la main-d'œuvre pénale. Celui d’Alger emploie, en dehors du personnel fixe, pour certains travaux seulement de cartonnages, les détenus de la prison d’El-Harrach et les femmes de la maison de correction de l’Agha.

L’usine de Bône donne du travail aux détenus de la prison de cette ville. Le personnel employé à Bône et à Alger est de plus de 600 hommes, femmes, jeunes gens ou jeunes filles, non compris le personnel pénitencier. Les indigènes y sont en majorité.

La production des usines d’Alger et de Bône est de 15 millions d’allumettes par jour, soit une production annuelle de 4 milliards et demi d’allumettes réparties en cent millions de boites. Elles se vendent non seulement en Algérie, en Tunisie et au Maroc, mais encore jusque dans l’Extrême-Sud, transportées par les caravanes qui s’enfoncent dans le Sahara et le Soudan.

 


LE FEU

Il est vraisemblable qu’au moment où l’espèce humaine, sortant de l’animalité, sut employer le feu pour remplacer la chaleur naturelle, absente pendant la rigueur des mauvaises saisons, ce feu avait pour origine, non le génie industrieux, trop rudimentaire, de nos ancêtres préhistoriques, mais une cause naturelle; probablement les incendies de forets causés par la foudre, ou peut être même les éruptions volcaniques.

Ces circonstances de production mystérieuse du feu durent être extrêmement rares, aussi les hommes de cette époque reculée durent-ils entretenir ce feu avec un soin extrême dans des foyers continuellement alimentés, et dont l’extinction accidentelle devait être considérée comme une véritable catastrophe.

La conservation du feu, vu l’incompréhension de son origine, dut donc être une sorte de sacerdoce, dont les traditions engendrèrent par la suite les nombreux cultes voués à cet élément divin, et dont la religion de Vesta, ainsi que les oeuvres wagnériennes inspirées de la légende de Wotan, sont les manifestations les plus récentes dans l’histoire des peuples civilisés.

Par la suite les hommes surent se procurer du feu à volonté par leurs propres moyens; ce qui fut d’abord un sacerdoce devint donc une industrie. L’homme cessa ainsi de vénérer ce don précieux de la Nature dés qu’il put lui arracher son secret.

Quels sont les moyens d’obtenir du feu ?

Il serait impossible de les énumérer tous dans un cadre aussi restreint, les seules réactions chimiques susceptibles de dégager une chaleur suffisante pour produire la flamme sont en nombre trop considérable, nous passerons simplement une rapide revue des plus employées.

Certains de ces procédés, peut-être encore en usage chez quelques peuples sauvages, consistent à utiliser la chaleur dégagée par un frottement énergique de deux pièces de bois sec disposées de manière à concentrer cette chaleur dans une surface aussi restreinte que possible. Par exemple, un bâtonnet taillé en pointe, fortement appuyé dans une encoche pratiquée sur une planchette, et animé d’un mouvement de rotation rapide par une cordelette à laquelle on imprime un mouvement de va-et-vient. On peut également frotter l’extrémité du bâtonnet dans une rainure de la même planchette, mais ce dernier moyen exige nécessairement une plus grande dépense de force, la rainure présentant une plus grande surface à échauffer qu’une simple encoche, et dispersant ainsi le résultat de l’énergie dépensée.

Tout le monde peut réussir l’expérience en plaçant le bâtonnet, épointé aux extrémités, entre deux planches dont l’une est fixée au mur et l’autre appuyée sur la poitrine, et en impriment le mouvement de rotation avec une ficelle dont ont tient les extrémités avec les mains restées libres, et dont on a passé un tour sur le bâtonnet. En quelques secondes les extrémités fument et se carbonisent.

Un autre procédé des plus anciens, et qui a survécu à tous les progrès, est le briquet à silex et amadou, encore très employé des fumeurs de plein air, car il ne craint pas le vent. Le renchérissement des allumettes dites “tisons” lui a depuis peu donné une nouvelle vogue. Chose à remarquer, c’est le briquet à silex qui a amené le perfectionnement de l’antique mousquet à mèche de nos pères, devenu ainsi le fusil à pierre; et, par un juste retour, de vieilles batteries de fusils ou de pistolets furent employées comme briquets pour l’allumage domestique.

Nous n’insisterons pas sur les procédés primitifs d’allumer du feu, ces procédés étant tous plus ou moins dérivés des deux que nous venons d’exposer.

Le moyen par excellence d’obtenir le feu chez les peuples civilisés est l’allumettes.

On vient d’en voir l’exposé de la technique de fabrication.

Quoique l’allumette ait à peu près conquis le monde civilisé, il nous parait utile d’énumérer différentes petites inventions plus ou moins pratiques, mais qui ont réussi à se créer une modeste place à côté.

D’abord le briquet au ferrocérium. Le principe de cet appareil réside dans l’extrême oxydabilité de l’alliage ferro-cérium sitôt que sa température s’élève. Cette oxydation, amorcée par le frottement d’une molette actionnée par un ressort, est accompagnée d’un dégagement de chaleur tel que les petites poussières métalliques arrachées par les dents de la molette sont portées à l’incandescence et peuvent enflammer un liquide suffisamment volatil ; essence, éther, benzol, alcool, etc.

Ce qui fit d’abord la grande vogue du briquet au ferro-cérium, c’est qu’il paraissait pouvoir échapper à la mainmise de la régie. Il faut remarquer combien cette vogue a diminué depuis le “poinçonnage”.

Un autre petit appareil, plus ancien que le précédent, mains néanmoins assez commode pour les fumeurs, eut moins de succès. Dans ce dernier, le principe, tout autre, était basé sur l’effet catalyseur de la mousse de platine, dont un petit fragment fixé au point de rencontre d’une croisée de fils fins, également en platine, est approchée d’une mèche imbibée d’alcool méthylique.

Au contact des vapeurs d’alcool, la mousse de platine s’échauffe, les fils rougissent et l’alcool s’enflamme, mais cette flamme a l’inconvénient de n’être pas plus éclairante qu’une flamme d’alcool ordinaire. Nous pouvons encore enflammer bien des substances au moyen de petits morceaux de sodium. Certains de nos lecteurs ont peut-être même eu l’occasion de rencontrer des camelots parisiens vendant de petits étuis contenant du sodium, et montrant au public comment un petit fragment imperceptible de leur produit posé sur une feuille de papier ou dans l’extrémité d’une cigarette, s’enflammait au contact d’une goutte d’eau, voire de salive. Ce procédé est plutôt amusant que pratique, surtout à cause de ce paradoxe apparent: allumer du feu avec de l’eau.

Le moyen le plus élégant, le plus propre, d’allumer cigare ou cigarette, est sans contredit d’employer la chaleur solaire en concentrant sa lumière avec une lentille, ou un miroir concave. La chaleur ainsi obtenue au foyer de la lentille est d’autant plus intense que la surface de la lentille ou du miroir est plus grande, et la courbure de leurs surfaces plus accentuée, jusqu’à une certaine limite toutefois.

Mais à côté de ces moyens “ambulants” il en est d’autres d’un usage plus sédentaire, tels sont les allumoirs automatiques des becs à gaz, les allumoirs à essence fixés au mur des appartements pour permettre d’avoir immédiatement de la lumière en rentrant le soir. Ces appareils dont il existe une grande quantité de modèles, utilisent généralement l’étincelle électrique; quelquefois, pour le gaz, la mousse de platine; quelquefois encore une combinaison mixte consistant en un fil de platine fin légèrement chauffé par une faible pile électrique; dans ce dernier cas, l’effet de catalyse du gaz par le platine se trouve amorcé par la pile et on obtient l’inflammation.

Parmi tous ces procédés, les uns ont été frappés d’une taxe par la régie, les autres échappant à un contrôle pratique ont été quasi défendus, sans termes précis de la loi, laissant ainsi la porte ouverte soit à une tolérance inconsciente ou forcée, soit à un arbitraire exagéré de la part de ceux qui sont chargés de faire observer les lois de défense des intérêts de la régie.

Toutefois, le briquet à silex et amadou, ne donnant pas de flamme est autorisé , sans avoir de droits à payer. Il doit en être de même, sans doute, du feu allumé par une loupe ou un miroir, aucun impôt sur les rayons solaires n’ayant encore été promulgué. Il est sans doute facile de frapper d’un droit de timbrage ou de poinçonnage des appareils comme les briquets portatifs ou les allumeurs automatiques, mais comment taxer les procédés tels que l’emploi du sodium; du phosphate de calcium, qui au contact de l’eau, donne de l’hydrogène phosphoré s’enflammant spontanément au contact de l’air, des composés nitrés ou chloratés dont on peut faire des amorces inflammables par frottement comme de simples allumettes. Il faudrait pour cela mettre en régie une foule de produits chimiques, ce qui jetterait une perturbation considérable dans les nombreuses industries utilisant couramment ces produits à différents usages.

A part la question de l’allumage, s’imagine-t-on exactement la place que tient le feu dans la Société moderne tant dans la vie intime des famille, qu’il chauffe, éclaire, et dont il cuit les aliments; que dans la vie sociale où il est la source de toutes les énergies mécaniques.

N’est ce pas par le feu que les véritables villes flottantes que sont les steamers actuels, transportent en moins d’une semaine des milliers de personnes d’un continent à l’autre; que nos locomotives font franchir des centaines de kilomètres en quelques heures; que d’immenses usines envoient de la force et de la lumière dans toutes les directions ? N’est-ce pas encore le feu, merveilleusement discipliné par le génie humain, qui vient enfin de permettre à l’homme la conquête de l’air ?

S’imagine-t-on ce que deviendrait cette Société moderne subitement privé des deux grands combustibles moteurs de sa vie industrielle: la houille ! le pétrole !

D’aucuns objecteraient que l’homme a longtemps vécu sans connaître la houille et le pétrole, que nous en serions quittes pour abandonner les progrès que l’industrie et la science leur doivent, et retourner à ce qu’ils appelleront probablement “le bon vieux temps”.

Malheureusement le feu n’est pas toujours l’élément bienfaisant dont nous venons de tenter de montrer la grandeur du rôle. L’Histoire est pleine de sinistres, accidentels ou volontaires, qui lui sont imputables. Le feu est aussi quelquefois l’arme du lâche, ou le moyen employé par quelque névrosé pour satisfaire à un instinct maladif. Erostrate brûlant le temple d’Ephèse pour “se rendre célèbre”, et Néron brûlant Rome pour offrir un aliment à son “inspiration poétique”, ne sont-ils pas, mentalement, bien plus près l’un de l’autre qu’on ne pense au premier abord.

Ajoutons qu’heureusement, les méfaits imputables au feu sont loin d’entrer en compte, comparés aux bienfaits que lui doit l’Humanité.

Comme il est facile de le voir, le simple acte d’allumer du feu peut soulever de nombreuses et intéressantes dissertations, tant au point de vue de sa législation spéciale, qu’à celui de la technique scientifique et même de l’Histoire.

L. MATOUT, Assistant au Muséum.

 


ALLUMETTES.

--- LES “A-COTE”. ---

Prochainement va s’accomplir une petite révolution dans la manière d’offrir au consommateur la boite de 40 allumettes en cire, à pâte rouge. Les illustrations si connues de Grévin, de Choubrac et de tant d’autres, les légères danseuses, les petites femmes, les types de grognards du Premier Empire, si connus de nous tous depuis si longtemps, vont disparaître de la circulation dés que le stock actuellement en magasin sera épuisé.

L’Administration française, soucieuse de répandre dans le public des goûts artistiques, se propose de nous offrir, pour nos dix centimes, la reproduction des chefs-d'œuvre les plus célèbres contenus dans nos musées.

Pour deux sous, chacun pourra avoir sa Joconde, et même autant de Jocondes qu’il voudra pour le même prix. Les plus ignares seront obligés de se familiariser avec les collections de tous les Louvres du monde. Chacun connaîtra les Michel-Ange, les Raphaël, les Rembrandt, les Rubens, les Teniers, les Fragonard, les Van Dyck, les Watteau, les Puvis de Chavannes, etc., etc.

La manufacture de Marseille sera la première à mettre en vente les nouvelles boites. Sa première série, déjà en fabrication, sera prochainement terminée. Elle ne compte pas moins de soixante-dix reproductions de tableaux choisis parmi l’école française et les écoles étrangères.

Nous sommes loin, à présent, du lancement, en 1856, de la première boite d’allumettes au phosphore amorphe des frères Coignet. Elle était en carton jaune, grossier et rugueux. On la fabriquait en même temps à Paris et à Lyon.

On y eût vainement cherché la moindre tentative artistique. L’enveloppe comportait simplement une réclame et un conseil.

La réclame tenait toute la face principale de la boite. On y lisait: “Avec ces allumettes, pas d’empoisonnements, pas de névroses, pas d’incendies causés par imprudence, pas d’odeur de phosphore: allumettes hygiéniques de sûreté.”

Le conseil était précieux. Le voici: “L’inflammation de ces allumettes n’a lieu qu’en les frottant légèrement sur la surface rouge ci-contre.”

La mauvaise réputation que l’on a faite aux allumettes françaises a excité la verve des revuistes et de nombre d’écrivains satiriques. Si ces critiques ont été souvent justifiées, elles ont été aussi parfois excessives.

L’Administration soutient que l’on a parfois tort d’incriminer l’État. Les commerçants sont souvent les seuls coupables en plaçant leurs allumettes dans des endroits humides où elles se gâtent.

Afin de remédier aux inconvénients de l'humidité, l'Administration va substituer, pour sceller la pâte phosphorante sur la tige de cire, la colle forte à la gomme actuellement en usage. La colle forte, en effet, ne craint rien de l'humidité, tandis que la gomme, au contraire y est très sensible.

L'Administration fait même annoncer qu'elle ira plus loin: elle reprendra les marchandises défectueuses et les remplacera par des produits irréprochables. Ce sera l'âge d'or des allumettes... Enfin !

Et le public le mérite bien ! Car enfin, il ne faut pas le brimer toujours. Si endurant, si patient qu'il soit, il arrive qu'il se fâche. On n'a pas oublié ce qui s'est passé récemment pour la caporal supérieur: une ligue de fumeurs s'est constituée: elle a même une campagne énergique et elle a triomphé de l'Administration des tabacs qui a du ramener les tabacs augmentés à leurs chiffres antérieurs.

Bien qu'il soit plus difficile peut-être de brimer l'Administration des allumettes, cela n'est probablement pas impossible et, quand il s'en mêle, le public sait être ingénieux.

C'est que la contribution payée chaque année à l'État par les consommateurs est considérable. Chaque Français brûle annuellement, en moyenne 1.146 allumettes, ce qui représente une somme de 1fr. 21 par tête.

L'Etat réalise, sur la fabrication des allumettes, un gros bénéfice, près de 70%. Si nous prenons comme exemple l'année 1909, nous voyons que les recettes se sont élevées à 40.884.933 fr. 56, alors que les dépenses n'étaient que de 12.286.332 fr. 27.

Les achats de matières premières ont donné lieu, en 1909, à une dépense de 4.346.566 fr. 18. Il a été employé, pour la fabrication, 988.687 kilog. de soufre; 34.683 kilog. de phosphore amorphe; 230.386 kilog. de chlorate de potasse; 78.254 kilog. de colle forte; 28.886 kilog. de gomme du Sénégal; 48.429.054 mètres linéaires de bougie-fil préparée à la manufacture de Marseille qui, en 1909, a employé à cet usage 29.440 kilog. de coton et 99.665 kilog. de stéarine et de cire.

 

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